Alors, je lui ai conseillé de jouer à l’extérieur, mais dans un lieu où il n’y aurait personne, pour s’habituer à jouer pour les autres, même si les autres, pour le coup, c’étaient plutôt des arbres et des oiseaux.
Comme elle passait devant un cimetière, elle décida de s’y arrêter.
À moins de jouer vraiment très mal, elle avait peu de risque de voir les morts sortir de leur cercueil pour critiquer son jeu…
Peut-être allait-elle refaire le clip de Thriller de Michael Jackson ?
Bref, voilà notre Dorothée, qui joue ses morceaux favoris pour les morts…
Ravie de cette expérience, où elle avait remarqué que le son de son instrument, dans ce lieu si particulier, très ouvert, était différent de ce qu’elle entendait, quand elle jouait dans sa chambre, elle se dit qu’elle y retournerait tous les jeudis.
Le troisième jeudi, une vieille dame, qu’elle n’avait pas vue, s’approcha d’elle et lui demanda :
“C’est vous, qui jouez de la musique dans le cimetière ?”
Dorothée, sur la défensive, lui lança : “Pourquoi ? Ça vous dérange ?”
“Au contraire”, répliqua la vieille dame, “ça rend les visites plus joyeuses…”
Elle venait de perdre son mari, alors ses visites hebdomadaires lui permettaient de faire son deuil, comme si elle s’occupait encore un peu de lui…
À sa demande, Dorothée accepta de retourner au cimetière tous les jeudis, pour jouer de la musique pour la vieille dame… Et son défunt mari.
J’avais dit à Dorothée, qui m’a narré cette histoire : “Tu vois, tu viens de créer un nouveau métier : harmoniciste de cimetière !”
Mais notre Dorothée ne s’est pas arrêtée là !
L’aisance qu’elle a pris pendant ses petits concerts hebdomadaires lui a donné envie de jouer partout où elle le pouvait…
D’abord à la sortie de l’école, en attendant ses enfants…
Et puis, à une réunion de parents d’élèves…
Aujourd’hui, pour qu’une personnage de son entourage ne sache pas qu’elle joue de l’harmonica, il faut être sourd et aveugle, parce qu’elle sort son petit instrument en toute occasion…
Pour le bonheur de tous !